Petite Histoire des noms de rue en Bretagne

Petite Histoire des noms de rue en Bretagne

Les noms de rues ne se sont pas faits en une seule fois et les villes n’ont pas toujours eu l’aspect que nous leur connaissons aujourd’hui. Chacune des grandes périodes de l’histoire de Bretagne a eu des particularités au plan de l’urbanisme. Celles-ci ont laissé des traces dans le paysage et des noms qui nous permettent de reconstituer et de mieux comprendre les étapes de cette évolution.Les premières localités (vici), qu’elles soient celtes ou romaines, ne devaient pas être très grandes. Elles cherchaient d’abord à protéger leurs habitants. Elles se présentaient comme un enchevêtrement de bâtiments à usage collectif : forum, temples, basilique (tribunal et marché)… entourés d’ateliers et d’habitations, entre lesquels on circulait comme on pouvait. L’ensemble était souvent entouré par un fossé et un fort talus de terre mélangée avec du bois (mur gaulois), ou parfois d’un rem­part en pierre (mur romain). Les seules voies importantes qui les traversaient étaient généralement rectilignes et bordées par des établissement de commerce. Elles conduisaient aux grandes villes voisines, dont elles reproduisaient les noms. Certaines pouvaient posséder un militaire, borne sur laquelle était gravé le nom du personnage important de l’époque (ce qui équivalait à une date) et la distance de la capitale. Encore aujourd’hui, certaines de nos grand-rues sont bâties sur l’une de ces voies, qu’on appelle romaines, et qui constituent souvent l’arête centrale d’une ville. D’autres constructions, dont on retrouve encore des restes, aqueducs, thermes, fontaines… jalonnaient les voies secondaires.

Au Moyen-Age, sous les ducs de Bretagne (IXe-XVe siècle), les villes se sont développées. Environ 10 % de la population bretonne, soit près de 100 000 âmes vivent ainsi dans une qua­rantaine de villes de tailles très diverses. Ces villes appartien­nent suivant les cas, au duc, à l’évêque du lieu, parfois à un sei­gneur justicier, ou encore sont partagées. Elles sont presque toujours closes de murs, c’est-à-dire protégées par de solides murailles avec des portes et des ouvrages de défense : tours, château, beffroi ou guet… La partie surélevée sur laquelle repo­se le château s’appelle la motte, d’où le nom de la rue qui y mène. Les églises ou chapelles, souvent nombreuses sont dédiées à un saint breton qui donne aussi son nom à la rue la plus proche. On y trouve ensuite des bâtiments ou des équipe­ments destinés aux habitants : le bailliage (tribunal) avec sa geôle et parfois son pilori sur la place du martray (châtiment), la prévôté, la place des lices et celle du papegault destinées aux jeux, tandis que le mail, la rabine et le marchixsont des lieux de promenade. Les marchés ou foires, désignés par leur objet, sont des cohues s’ils sont couverts ; enfin des fontaines, des fours banaux et des  moulins sont à  la  disposition  des usagers, moyennant une taxe, mais lorsqu’il y en a plusieurs, il convient de les distinguer par le nom de leur propriétaire : le four au duc, le moulin Rosmadec, la fontaine aux clercs… La poste, située à une des portes de la ville, ne désigne pas le dépôt du courrier, mais un relais de chevaux… et la monnaie n’est pas une banque, mais un atelier de fabrication. Il est ainsi facile de repérer dans les villes anciennes, les points importants qui donneront des noms de rues et les limites de la cité primitive. Ces bâtiments sont en effet reliés par un lacis de rues et de venelles souvent fort étroites, où s’accrochent les habitations. Certaines rues ne reçoivent pas de nom, mais il se crée par l’usage. C’est souvent celui des corporations qui s’y trouvent :  les bouchers, les orfèvres, les pintiers (étameurs), le change (banquiers), les dames (de petite vertu), ou encore celui d’un détail pittoresque qui permet de se repérer : une enseigne, une auberge, une sta­tuette, un souvenir vécu…. On en finirait pas de rappeler tous ces noms truculents qui meublent encore le centre de certaines villes bretonnes. Mentionnons, seulement à titre d’exemple, la rue Casse-la-foi (Saint-Renan), le Puits-aux-images (Nantes), la rue Prends-y-garde (Le Pallet), le pont de la Puce-qui-renifle (Lorient), le Saut-de-la-belette (Machecoul), le Chêne amoureux (Les Fougerets) et beaucoup d’autres tout aussi savoureux, dont certains en breton. Ce type de dénomination purement descriptive et spontanée, que l’on peut qualifier de système médiéval, existe encore dans beaucoup de villes bretonnes (plus de 20 %). Toutes ces appellations font partie de notre patrimoine culturel. Il va de soi que nous devons les conserver chaque fois que cela est possible, car elles témoignent de l’an­cienneté des cités bretonnes.

À partir de 1532, la Bretagne est devenue une Province, ou une Généralité, obéissant au pouvoir royal. Au début, il y a peu de changement dans l’urbanisme, si ce n’est celui occasionné par les guerres de la Ligue (1576-1598). Mais en 1600, est tombé un décret de Sully qui confie au prévôt des marchands, officier royal, le monopole de la dénomination des rues. Il ne fut guère appliqué, sauf à l’occasion des modifications importantes du paysage, par exemple lors de la suppression des anciennes fortifications devenues inutiles, ce qui permit l’extension des villes vers de nouveaux quartiers extérieurs. Mais là encore, on sacrifie aux habitudes, qui consistent à donner à une rue le nom de son principal occupant. Dans bien des cas, ce sont des services publics, des hôpitaux ou des casernes et surtout des congrégations religieuses, masculines ou féminines, venues s’installer en grand nombre dans les villes bretonnes, à partir du début du XVIIe s. La ville de Vannes en compte une dizaine, Morlaix et Quimper, une douzaine. Lorsque le nouveau venu n’est pas identifié, on parle de la rue neuve, ou de la ville-neuve. Mais le véritable changement est apparu au XVIIIe siècle avec la reconstruction de certains quartiers vétustés ou détruits, ce qui permit l’instauration d’un nouvel ordre honorifique pour les noms de rues, en utilisant cette fois des noms de personnages. Le premier exemple est donné lors du grand incendie de la ville de Rennes en 1720. Pour une fois, la Bretagne est en avance sur tout le royaume. Pour la reconstruction du centre de la ville (1722), l’intendant du roi, Feydeau de Brou qui est favorable aux Bretons, impose quelques noms de rues de circonstance, comme ceux de sa Majesté, du Dauphin, ou du gouverneur, le comte de Toulouse et du président du Parlement, M. de Brilhac, mais aussi ceux de personnages tirés de l’Histoire de Bretagne : Montfort, Clisson, Du Guesclin, Beaumanoir, Coëtquen et Rohan … Il y rajoute même une hermine (Anne de Bretagne ?). Ces noms de rues sont sans doute parmi les premiers du genre en France et ils sont toujours à la même place. Les choses ont été un peu différentes lors de la construction du nouveau quartier Graslin à Nantes en 1780 : on choisit cette fois les noms d’une dizaine d’hommes de lettres célèbres, comme Crébillon, Racine ou Corneille, mais il s’agissait aussi d’une première pour la province. À la même époque à Brest, on décide d’honorer de la même façon l’architecte Amédée Frézier, le lieutenant de vaisseau du Couédic et le duc d’Aiguillon, que l’on peut considérer comme des célébrités régionales. Mais ce furent semble-t-il des exceptions, et même une ville comme Paris ne comptait encore dans ses rues à l’aube de la Révolution que cinq noms d’hommes célèbres, autres que ceux de la famille royale.

La période qui sépare les deux dernières guerres, ainsi que celle de la reconstruction qui suivit, est triomphaliste. Elle amène en grand nombre dans les rues de toute la France des noms de généraux français, comme Foch, Joffre, Galliéni, puis Leclerc, Juin, de Lattre et surtout le général de Gaulle à partir de 1944 (le plus grand nombre de rues en Bretagne) et à un moindre degré, Roosevelt, Montgomery, Eisenhower… Toutefois, la Bretagne se montre à cette époque bien plus sensible à ses propres héros, connus ou inconnus, et au souvenir de la Résistance, des otages, de ses martyrs et de la Libération. Ils y sont honorés beaucoup plus que dans les autres régions de France, sans doute parce que la Bretagne y a beaucoup partici­pé. Un nombre très élevé de rues, parfois aux références insuf­fisamment précises, rappellent encore cette époque douloureu­se, mais glorieuse, de l’histoire de Bretagne.

La dernière période est contemporaine. Elle a suivi l’immense développement économique et urbain qui est apparu en Bretagne à partir des années 1960. Plus de 500 000 agriculteurs quittèrent alors leur campagne pour se rapprocher des centres de décision et venir habiter dans les villes. Certaines de celles-ci ont éclaté littéralement devant un tel afflux. A titre d’exemple, Brest, Lannion, Saint-Malo accrurent leur population de plus de 50 %. De véritables villes nouvelles de plus de 10 000 habitants se sont développées aux portes des plus grandes, là où il n’exis­tait auparavant que des faubourgs clairsemés. C’est le cas de Cesson-Sévigné, de Saint-Jacques-de-la-Lande, ou du Rheu près de Rennes, ainsi que de Ploufragan et de Plérin près de Saint-Brieuc, ou du Relecq-Kerhuon et Plouzané autour de Brest, mais surtout de toute la couronne nantaise. Partout, il fallut créer très rapidement des centaines de rues et leur trouver des noms. A titre d’exemple, Vannes et Lorient, qui n’avaient qu’une cinquantaine de rues au début du siècle, étaient arrivées à 150 aux environs de 1960. Vingt ans après, ces chiffres avaient encore doublé et en 1992, on atteignit près de 800 rues dans chacune des deux villes ! Il a donc fallu rechercher un très grand nombre de noms pour ces nouvelles rues et l’on prit parfois un peu n’importe quoi. Au début, les municipalités puisèrent dans l’histoire officielle. Très tôt cependant, on commence à utiliser des noms du patrimoine breton qui est revenu à la mode. Suivant leur sensibilité, ou leur degré de connaissance de l’histoire, les conseils municipaux donnent à leur ville une physio­nomie en harmonie avec son environnement culturel. On fait appel à des vieux noms de lieux-dits que peu de personnes connaissent, ou peuvent comprendre. Souvent à court d’imagi­nation, on passe ensuite aux sciences de la nature, principale­ment la botanique et la zoologie, ainsi qu’à un folklore un peu mièvre, qui paraît aujourd’hui désuet. On ne peut que déplorer ces litanies d’oiseaux ou de fleurs qui ont envahi les quartiers et lotissements de certaines villes et dont le principal effet est d’égarer les visiteurs et parfois même les préposés ! À Couëron, on peut trouver ainsi dans les rues 29 noms d’oiseaux et 18 de fleurs ! Vannes fait presque aussi bien avec 26 noms d’arbres et de fleurs, heureusement éparpillés. Dans d’autres cas, il s’agit de véritables troupes de musiciens ou de peintres de toutes origines, alors qu’on aurait pu mieux faire en puisant parmi les artistes bretons. Il est vrai que le travail des administrations municipales est difficile : il faut aller toujours plus vite, avec le risque de souvent mécontenter beaucoup de monde. La ten­dance actuelle est donc de puiser davantage dans la liste des notables et la géographie locale, ce qui paraît assez naturel. Pourquoi dès lors, ne pas s’adresser davantage à l’histoire de Bretagne, qui offre des ressources pratiquement illimitées, mais peut-être insuffisamment connues ? Avec son passé de plus de trois mille ans et ses milliers d’hommes célèbres, elle a aujourd’hui des réponses dans tous les domaines et pour tous les goûts.

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