Vignes et toponymie par Tugdual Kalvez

VIGNES ET TOPONYMIE BRETONNE

par Tugdual KALVEZ

 Si j’écris cet article, c’est pour répondre à certains journalistes qui font comme s’il n’y avait pas de vignobles en Bretagne, comme si le Pays Nantais n’était pas breton, que les noms de communes Guéméné-Penfao, Gwenrann, Naoned, Saint-Molv, Ar Poulligwenn, Mesquer, Guenrouet, etc. n’étaient pas en Loire-Atlantique… Qui passent sous silence Fay-de-Bretagne, La Meilleraye-de-Bretagne, Le Temple-de-Bretagne, Montoir-de-Bretagne, Sainte Reine-de-Bretagne et Vigneux-de-Bretagne, ou qui réduisent ces noms de communes au premier terme. Que font-ils de la déontologie de l’information ? Avec bonne conscience, ils lui substituent leur idéologie ouestone et jacobine. La vérité historique oblige à considérer et à reconnaître que la Loire-Atlantique est la partie Sud de la Haute-Bretagne, comme l’Ille-et-Vilaine en est la partie Est. Ne pas le faire, c’est du révisionnisme.

La vigne en Bretagne

« La culture de la vigne en Bretagne, écrit Bertrand Luçon dans Noms de lieux bretons du Pays Nantais, n’a pas été limitée de tout temps au vignoble nantais, loin s’en faut : on faisait autrefois du vin dans la vallée de la Rance, le pays de Rennes, la presqu’île de Rhuys et dans le pays de Guérande bien entendu. Il est aujourd’hui certain que l’introduction de la vigne dans la région [guérandaise] remonte à l’Antiquité: les fouilles récentes de la villa gallo-romaine du Pladreau à Piriac-sur-Mer ont mis à jour un pressoir à vin et un chai aménagés entre le IIe et le IVe siècles. Plus près de nous, les documents des XVe et XVIe siècles font mention d’innombrables vignes dans la majeure partie de la sénéchaussée de Guérande. La toponymie conserve le souvenir de cette tradition séculaire anéantie par le phylloxéra: le mot vigne apparaît cinquante fois au seul cadastre d’Assérac, et à de très nombreuses reprises dans l’ensemble du pays de Guérande ».

En breton, “de la vigne” se dit gwini (collectif), et au singulatif gwinienn f., ur winienn, “une vigne”. Le terme est construit sur gwin, “vin”. Le mot a été emprunté au latin vinum. Mais, il y a peu de toponymes en langue bretonne se rapportant à la vigne. La très grande majorité d’entre eux est en français, même en Basse-Bretagne. Cependant, on note un Kervignac, à Moëlan (29), qui était Kerguignec au XVe siècle, “le hameau de la vigne”, et Ar Winiec, “la vigne”, au Juch (29), « une parcelle très bien exposée, au pied d’un ancien château, explique Jean-Marie Ploneis2.

La vigne ou les vignes sont les seuls termes pratiquement utilisés, parfois, avec une extension, une précision, surtout en Pays Nantais et en Pays Rennais.
Exemples: la Vigne du Seigneur (Savenay), la Vigne des Thébaudières (Le Cellier), la Vigne du Moulin (Lavau-sur-Loire), ou encore la Vigne-aux-Evêques (Saint Hervé, 22), etc. On en trouvera la liste complète dans le relevé de l’INSEE3, plus loin dans cet article.

Du vin

Toutefois, on conserve quelques traces relatives au commerce du vin, venant de Nantes ou de Bordeaux, et de son transport dans Pont-ar-Gwin, [le pont du vin], à Trémuson (22), Pors-ar-Gwin [le port du vin], à Plouguiel (29), et encore Roz-ar-Gwin [le coteau du vin], à Laz (29), et Toul-Gwin [le lieu du vin], à Penmarc’h (29). Biblio. n°4. Il faut y ajouter Karrhent-ar-Gwin [le chemin carrossable du vin], à Berrien (29), route menant de cette commune au Relecq (biblio. n°2).

Le terme apparaît également dans sa graphie du Moyen Âge (vieux et moyen breton), dans Coat-Guin [le bois du vin], au Vieux-Marché (22) ; Pont-ar-Guin, [le pont du vin], à Carnoet (22) ; Pont-Guin, à Briec (29) ; Roz-ar-Guin [le coteau du vin], à Leuhan (29). Il semble que gouin transcrit la prononciation trégorroise dans Crec’h-ar-Gouin [la côte du vin], à Bégard (22), et Porsgouin, à Pleudaniel (22). Le terme est francisé dans Stervins, à Riantec (56), alors qu’il était Staerguyn en 1495 [la rivière du vin]. Biblio. n° 4.

En Pays Guérandais

Le breton a laissé aussi des traces toponymiques de sa présence pendant des siècles dans la presqu’île guérandaise, que nous rapporte Bertrand Luçon1.

Gwini, “vigne”, dans Clos Guinnamise (Saint-Lyphard): « La tenue de la vigne que tient Perrot Amice » (1452), en breton moderne Kloz gwini Amice [le clos de la vigne d’Amice].

Gwinieg, “vignoble”, dans Mengunié (Pénestin), qui était Menguniec (1707), Mainguniec (1732), Mainguiniet (1743), soit maen (pierre) + gwinieg.

Clos Vignet (Férel), Clevynyec (1544), Clevignec (1624), composé du mot dialectal Clé (klé, kleuñv, kleuz, “le fossé et son talus”) + gwinieg: Klé (er) winieg [le talus du vignoble].

Le Cohignai
(Férel), Cohuuigné (1639), = koh winieg [le vieux vignoble] ; koh est la forme vannetaise du moderne kozh. Pré du Guigné (Piriac-sur-Mer) et Languigné (Guérande) sont du même…tonneau.

Gwiniegi,
pluriel de gwinieg, “les vignobles”, se retrouve dans les noms Prat en Guynieguy, en Pénestin [le pré des vignes] ; Clos du Gueneguy, à Férel, et Clos du Gueneguy, en Assérac.

Enfin, gwinier,
“vigneron”, se présente sous la forme plurielle (-ion) dans Bois de Vénérion (Pénestin) qui était Bot er Vignerion en 1571, en breton moderne bod ar winerion, “la demeure des vignerons”.

 

Relevé des toponymes portant sur la vigne

Ils sont tirés des cinq volumes de la Nomenclature de l’INSEE3, publiés en 1982, et donnés ici par département, classés par ordre alphabétique des communes. Chacun porte le numéro de la commune où on le trouve. Pour alléger la lecture, les deux chiffres initiaux du département n’ont pas été reproduits ; exemple: 22015 Bréhand est devenu 015 Bréhand.

Côtes-du-Nord*

La Vigne.
015 Bréhand ; 050 Dinan ; 066 Le Gouray ; 077 Hénansal ; 079 Henon ; 081 Hillion ; 102 Langourla ; 114 Lanrelas ; 122 Laurenan ; 133 Loscouët-sur-Meu ; 143 Matignon ; 175 Plédéliac ; 186 Pléneuf-Val André ; 268 Ruca ; 300 Saint-Hervé, La Vigne aux Evêques ; 337 Sévignac. Total = 16 toponymes.

Les Vignes.
190 Pleslin-Trigavou ; 377 Trévéneuc. Total = 2 toponymes.

Total 22 = 16 + 2 = 18 toponymes.

*- Nous avons conservé le titre du document de l’INSEE de 1982, le département ayant changé de dénomination (sur laquelle il y aurait bien des choses à dire), en 1990.

Finistère

La Vigne.
077 Guisseny ; 207 Plourin-lès-Morlaix.

Ar Winieg.
087 Le Juch2.

Kervignac,
en Moëlan-sur-Mer2 (29150), < Ker-guin-ec (XVe s.),”hameau de la vigne”.

Total pour le 29 = 4 toponymes.

Ille-et-Vilaine

La Vigne.
004 Beaucé ; 008 Availles-sur-Seiche ; 013 Bains-sur-Oust ; 014 Bais ; 021 Beaucé ; 023 Bédée ; 031 La Bouexière ; 032 Bourgbarré ; 033 Bourg-des-Comptes ; 037 Bréal-sous-Montfort ; 039 Brécé ; 047 Bruz ; 048 Campel ; 056 La Chapelle-aux-Filzméens ; 076 Chavagne ; 080 Cintre ; 082 Coesmes ; 087 Cornillé ; 089 La Couyère ; 106 Ercé-en-Lamée ; 109 Etrelles ; 115 Fougères ; 119 Gennes-sur-Seiche ; 123 Goven, La Vigne de Louvain ; 125 La Guerche-de-Bretagne ; 127 Guignen ; 133 Iffendic ; 135 Irodouer, La Vigne de la Fontaine ; 136 Janzé ; 138 Laignelet, la Vigne de la Fontaine ; 139 Laillé ; 149 Lassy ; 150 Lecousse ; 160 Loutehel ; 174 Melle ; 179 Miniac-Morvan ; 194 Montreuil-sous-Pérouse ; 196 Mordelles, la Vigne Collet ; 201 Muel ; 204 Nouvoitou, la Vigne en Vauzelle ; 210 Pacé ; 223 Plélan-le-Grand ; 227 Pleumeleuc ; 228 Pleurtuit ; 235 Rannée, la Vigne aux Evêques ; 237 Renac ; 267 Saint-Etienne-en-Coglès ; 271 Saint-Georges-de-Reintembault ; 275 Saint-Gilles ; 279 Saint-Guinoux ; 281 Saint-Jacques-de-la-Lande ; 283 Saint-Jean-sur-Vilaine ; 295 Saint-Maugan ; 306 Saint-Père ; 307
Saint-Pern ; 337 Tinténiac. Total = 56 toponymes.

Les Vignes.
133 Iffendic ; 138 Laignelet ; 238 Rennes, les Vignes de la Mare ; 274 Saint-Germain-sur-Ille ; 299 Saint-Méloir-des-Ondes ; 310 Saint-Sauveur-des-Landes ; 331 Talensac ; 340 Treffendel. Total = 8 toponymes.

La Vignette.
097 Domalain ; 263 Saint-Coulomb ; 279 Saint-Guinoux ; 299 Saint-Malo-des-Ondes ; 337 Tinténiac ; 352 Vern-sur-Seiche. Total = 6 toponymes.

Vigneux.
358 la Ville-es-Nonais.

Total pour le 35 = 56 + 8 + 6 + 1 = 71 toponymes.

Loire-Atlantique

Trois noms de communes:
Saint-Léger-les-Vignes ; Vieillevigne ; Vigneux-de-Bretagne (< Vigno 1038, Vigneu 1287, Vignou 1308 ; biblio. n°5).

La Vigne.
019 Bouée, la Vigne de Meaux ; 023 Bouvron, la Vigne & la Vigne du Chatel ; 024 Brains, la Vigne de Jasson ; 026 Carquefou, la Vigne Rouge ; 028 Le Cellier, la Vigne des Thébaudières ; 097 Mesquer ; 128 Plessé, la Vigne Marou ; 171 Saint-Léger-les-Vignes, la Vigne de la Lande ; 180 Saint-Marc-la-Jaille ; 191 Saint-Supplice-des-Landes ; 195 Savenay, la Vigne du Seigneur ; 208 Treffieux.

Total = 13 toponymes.

Les Vignes.
029 La Chapelle-Basse-Mer, les Vignes du Praud ; 034 La Chapelle-Saint-Sauveur ; 035 La Chapelle-sur-Erdre ; 080 Lavau-sur-Loire, les Vignes du Moulin ; 140 La Regrippière ; 151 Saint-André-des-Eaux, les Vignes de Trehe ; 162 Saint-Herblain ; 186 Sainte-Pazanne.

Total = 8 toponymes.

Total pour le 44 = 3 noms de communes ; + 13 + 8 = 24 (micro)toponymes. Sans compter ceux évoqués ci-dessus en Pays Guérandais…

Morbihan

La Vigne.
004 Arzal ; 006 Augan ; 012 Beignon ; 060 Les Fougerets ; 061 La Gacilly ; 122 Loyat ; 127 Mauron ; 152 Le Palais ; 166 Plouay ; 191 Réminiac ; 216 Saint-Gorgon ; 218 Saint-Gravé ; 239 Saint-Vincent-sur-Oust.

Total = 13 toponymes.

Les Vignes.
070 Guégon ; 033 Carentoir. Total = 2 toponymes.

Total pour le 56 = 13 + 2 = 15 toponymes.

Tableau récapitulatif

Dépt.

La
Vigne

Les
Vignes

divers

Total

22

16

2

0

18

29

4

0

0

4

35

56

8

7

71

44

13

8

3

24

56

13

2

0

15

Breizh

102

20

10

132

 

Ces traces toponymiques montrent que l’on a cultivé la vigne un peu partout en Bretagne. Peu en Léon et Cornouaille, un peu plus en Trégor et Penthièvre-Gouélo, plus encore en Pays Vannetais et nettement plus en Pays Rennais.

Les expériences ponctuelles récentes, tentées ici et là, accompagnées du renfort de la presse (parfois “ouestonne” très orientée), ne sont que des reprises lancées à la faveur du réchauffement climatique. L’avenir nous renseignera sur la qualité de ces tentatives, car on ne s’improvise pas viticulteur.

Du Pays Nantais

N’est-il pas étonnant qu’on ne trouve que 24 mentions de vignes en Loire-Atlantique dans notre tableau récapitulatif, alors qu’on en compte près de trois fois plus (71) en Ille-et-Vilaine ? C’est que, dans les fiefs du Pays Nantais, pratiquement “tout est vigne”, alors qu’en Pays Rennais, ce ne sont que des souvenirs d’anciennes vignes.

On constate, en effet, qu’à Saint-Fiacre-sur-Maine, par exemple, (où j’ai fait les vendanges dans ma jeunesse, au village de La Bourchinière), il n’est aucune mention de vigne dans la Nomenclature de l’INSEE, alors que le vignoble y est omniprésent. Il en est de même à Vallet, à Mouzillon, La-Haye-Fouassière, Haute-Goulaine, Vieillevigne, etc. autant de fiefs du muscadet !

 

On distingue globalement, au Sud de la Loire, la zone de production du gros-plant (bagolig, en breton), celles des Côtes-de-Grandlieu et de Sèvre-et-Maine, enfin les Coteaux d’Ancenis au Nord qui produisent le muscadet (muskadig, en breton). Des vins de qualité confectionnés par des viticulteurs professionnels, sans oublier leurs créations nouvelles comme le spoumeg, un vin pétillant, et le berligou6, le vin des Ducs souverains de Bretagne, dont les 18 années de recherche ont abouti en 2021.

Il semble que « le clos de Breligout6, situé dans le fief de Beaulieu, à Couëron, où les ducs ont leur résidence, reçoive les trois premiers plants » donnés par le futur Charles le Téméraire à François II, duc de Bretagne, vers 1460, et s’y développe durablement. Le toponyme figure dans la nomenclature de l’INSEE sous la graphie Le Berligout. La métathèse Bre- > Ber- est fréquente.

La réviviscence du berligou en terre bretonne apparaît à nombre de nos compatriotes comme un symbole d’espérance en la reconquête de l’autonomie de la Bretagne réunifiée, autonomie qui nous fut volée en 1789. Le Conseil Régional de Bretagne n’a-t-il pas appelé de ses vœux cette renaissance dans un texte voté le 7 avril 2022 ?

Tugdual KALVEZ

 

Bibliographie

1- Noms de lieux bretons du Pays Nantais, par Bertrand Luçon (Editions Yonan Embanner, 2017).

2- La toponymie celtique, de Jean-Marie Plonéis, tome 2, éditions du Félin, 1993.

3- Nomenclature des écarts hameaux et lieux-dits des Côtes-du-Nord, du Finistère, d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique et du Morbihan, en cinq volumes, éditions de l’INSEE (1982).

4- Dictionnaire des noms de lieux bretons, par Albert Deshayes, éditions Le Chasse-Marée/ArMen, 1999.

5- Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, par A. Dauzat et Ch. Rostaing, Librairie Guénégaud, 1989, deuxième édition.

6- Berligou, le vin des ducs de Bretagne, par Alain Poulard et Marcel Jussiaume, Le Temps, éditeur, 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous souhaitez participer ?

Ces thématiques sont prises en charge par des sections d'activités auxquelles les personnes intéressées participent en réunions ou à distance.

Elles sont créées ou modifiées en fonction des demandes et des possibilités d'animation.